PARCE QUE JE PRENDS DE L'ÉLAN AVANT LA CÔTE
La marée monte. À contre-temps d’un mouvement interne, demi-plié, main gauche, front, genou, j’attends la fulgurance d’une lumière, un appel derrière l’épaule. J’attends et l’attente grelotte à travers moi. Dans mes cavités résonnent un chant d’avant, la tempête étouffée par l’oreiller, le murmure des bras planqués dans mes valises, parce que je ne peux m’empêcher de calquer mes obsessions sur des souvenirs mouillés : transfert de bocal de la mer à tes yeux, la mer, toujours elle. Je rejoue constamment la même tragédie inachevée, le cœur coincé dans les rideaux, les mots bloqués dans la gorge. Se dire que ce sera toujours la même chose une fois sur scène : les mêmes problèmes de synchronisation, les mêmes interférences car la main a déterminé à l’avance sa trajectoire, elle dansera puis se posera comme une plume ou un couteau, c’est selon. Je pousse tes angoisses contre les miennes, tes absences contre mes présences, tes fantômes contre mon présent, en envisageant chaque danse comme la dernière, ça me tue, tu me tues dès que tu romps la connivence de nos doigts, dès que se creuse l’espace entre nos pas. Je danserai seule. Le sang galope dans mes jambes en mode repeat, mouvement de trop face au silence, sursaut, recul, abandon du cercle, retour aux parallèles. Et si tu avais dévié de cette ligne, celle que je trace entre nous quand j’ai peur ? Et si tout s’écroulait dans nos corps muets ? Et si tu avais changé tous les décors de place sans me demander mon avis ? Et si je devenais paranoïaque, avec le rire jaune et le souffle coupé ? Je veux ma maison, mes tiroirs, je veux mes petits placards, dedans je veux ta peau avec mes manteaux d’hiver, disparaître, fermer de l’intérieur, ne plus avoir froid, essuyer tes millimètres et me rattraper aux ronces, chardon peau, m’enterrer dans un bac à sable, sauter de la balançoire en criant très fort. Les jupes relevées sur le monde, le corps confondu, végétal, satisfait de sa brusque horizontalité, aplati comme une crêpe, je m’étale, roule, m’émeus, les joues rouges d’une enfant en bas de la pente. Le printemps n’est plus qu’à quelques roulades, je le sens, j’y suis presque, il s’agit d’atteindre un état mental stable, une température corporelle moyenne adaptée à la saison. L’hiver est bientôt derrière mon talon, vite un vase, un verre, une baignoire. Je voulais cueillir des violettes, je n’ai qu’un bouquet de chair à t’offrir. Doigt, oreille, poumon, omoplate : tout est pour toi, sur la table. Fais-en ce que tu veux, je vais bien, je ne fanerai plus, même la nuit.

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05 Oct 2012
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