Extrait du spectacle Nos Fusions Stupides

Je ne veux pas qu'ils me parlent, les autres. Je ne veux pas qu'ils m'approchent les autres. Je ne veux pas qu'ils m'atteignent, qu'ils m'imprègnent, qu'ils m'envahissent, qu'ils m'embrassent avec leurs bouches souillées et putrides. Quand je les regarde, ou plutôt quand j'ose les regarder, ou plutôt quand mes épaules puis mes yeux se détournent par mégarde ou par faiblesse, je ne vois que des bouches, ouvertes, odieuses, moisies, des gueules pleines de salive et de mots pourris, des trous crachant des paroles creuses et des souvenirs crasseux, des museaux qui mordent l'espace vide jusqu'à moi, des gueules qui sont autant de bouches, de lèvres, de dents, de langues, de peau, de viande, je ne vois que cela, je ne sens que cela, seulement leurs bouches, leurs gueules, leurs ouvertures béantes qui débordent et ça me dégoûte, oui, ça me dégoûte. Le poids du contenu de toutes ces bouches me fait vomir. Quand ils me frôlent ils me font mal. Quand ils me parlent ils me perdent. Alors je ne les laisse pas parler. Jamais. Alors je reste hors de portée. Alors il y a moi, oui, je le crie de dos, il y a moi, et les autres loin, tellement loin que je peux les piétiner, en faire des miettes, des miettes de peau, de bouche, des lambeaux de chair morte que je piétine oui, bouches fermées, plates, aplaties, mortes, ils ne m'auront pas, ils ne m'auront plus. Je suis seule mais je suis tout, je les surveille de tout en haut de moi et je ris et ma bouche est bien plus grande que la leur, surtout quand je ris. Je ris souvent, parfois, un peu, tu sais, pas très souvent en réalité mais quand je ris, je ris très fort, parce que j'existe oui, hein, d'abord, il y a moi, et moi existe, dis le que j'existe, dis le, mais oui, moi je suis tout, omniprésente, au dessus de toi, je n'ai besoin de personne, je te dis, je ne te parle pas, je suis tout, et quand je dis que je te dis, c'est au tout que je parle, et ce tout ce n'est personne d'autre, ce n'est pas toi, ce n'est pas les autres, ce n'est que moi, je vais de moi à moi, il y a moi et c'est tout.

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