BALLEURE
Il y avait une maison. Balleure le village ou Balleure la maison, dans nos têtes d'enfant tout a fusionné. Dans cette maison on a vécu plusieurs nuits, plusieurs vies. Au matin nos cheveux ont pris l'odeur des murs. Au matin les murs ont transpiré sur nos cheveux. On nous dit alors qu'on sent Balleure : "Toi tu sens Balleure". Toi tu veux plus te laver la garder sur toi. L'odeur de Balleure.

Tu montes les escaliers, tournes à gauche, plongeon sur le lit, cheveux emmêlés. Ta peau n'est déjà plus ce qu'elle était, ton odeur effacée pour une autre. Mais ça tu ne le sais pas encore. C'était comme ça chaque été, on faisait de cette chambre nos appartements de sales gosses. Défense d'entrer, si tu frappes pas t'es mort. Attention si tu tombes tu vas te noyer. Entre les lits c'est la mer. Si tu tombes t'es éliminé. Edredons, oreillers, choses molles informes entassées, tout ça rempli de plumes. T'aimes bien en extirper une entre deux doigts de temps en temps, quand ça pique sur ta joue, quand tu fais semblant de dormir. La poussière fait de chacun de tes petits pas un joli nuage sur la moquette. Tu t'avances avec tes yeux. Cette nuit tu veux dormir par terre.

Il y avait une maison et dans cette maison j'ai souvent dormi. Au matin les cheveux prennent l'odeur des murs, au matin les murs transpirent sur mes cheveux, au matin je n'ai plus mon odeur. On me dit alors que je sens Balleure : "Toi tu sens Balleure". Dans cette maison j'ai souvent dormi. Ensemble nous n'y avons jamais dormi, vous avec moi, monsieur. Là-bas il ne manque que la mer. Il y a pourtant une mare où nous pêchions des petits poissons, mais pas la mer. Avec vous je n'irai pas dans cette maison, nous n'irons pas dormir dans ce lit et pourtant le matin je vous vois, vous avec moi rire et courir et dormir et cueillir les vers luisants.

Il y avait une maison. Il y a toujours, mais c'est compliqué.

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05 Mar 2008
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